Dungeon World : La Synthèse Parfaite ?
Par Philippe Lemaire
Parfois je me dis que ma quête du bouquin de jeu de rôle parfait est déjà depuis un moment accomplie. Avec Dungeon World j’ai déjà la synthèse parfaite entre le jeu fantasy classique et le système “la fiction d’abord” d’Apocalypse World.
C’est quoi ?
Dungeon World est un jeu créé en 2012 par deux américains, Adam Koebel et Sage La Torra. On peut résumer le jeu comme la fusion de l’univers et des clichés de D&D (mais en réalité du genre fantasy dans son ensemble) et du moteur de jeu d’Apocalypse World de Vincent Baker.
L’influence de D&D, j’imagine que vous voyez assez facilement ce que ça implique en terme de classes, de monstres, et d’univers, mais pour Apocalypse World, peut-être qu’une explication est de mise.
Le moteur d’Apocalypse World peut-être résumé ainsi :
- la fiction d’abord : le jeu est une conversation, entre les joueurs et joueuses, MJ inclus·e. Les règles sont au service de la fiction, pour faire avancer l’action sans jamais aboutir à une impasse.
- l’improvisation guidée comme principe : le MJ ne doit pas préparer une histoire toute tracée, avec ses passages obligés et son dénouement prédéterminé. C’est le jeu et l’enchaînement d’actions des joueurs et joueuses et du MJ qui feront émerger l’histoire.
- Une absence d’univers pré-établi : établir l’univers ensemble fait partie du jeu
- Un partage important du rôle d’auteur du monde et de la situation entre le MJ et les autres joueurs et joueuses
- Le MJ est guidé par des principes et un agenda, et doit quand l’occasion se présente et selon les besoins de la fiction piocher dans sa liste d’actions.
- Un système de résolution universel, basé sur 2d6+MOD, avec 3 niveaux de résultats : 10+ = franc succès, 7-9 (succès partiel avec des conséquences, au choix du joueur ou MJ, selon les cas), et 6 ou moins, qui donne la main au MJ et l’autorise à sortir un sale coup aux joueur·euse·s, en respectant la fiction et ses principes
- Un système de classes par livrets, très simple, qui ajoute un arsenal d’actions spécifiques aux actions de base accessibles à tous les personnages, ou les améliore.
- des combats dynamiques et flexibles, qui obéissent aux mêmes principes que le reste, et évitent l’échange statique de dégâts entre joueur·euse·s et monstres.
Ça n’a peut-être l’air de rien, mais c’est radicalement différent des jeux traditionnels, particulièrement ceux où on joue un module pré-écrit.
Qu’est-ce que ça change ?
Mais tout !
Finis les combats interminables avec une table d’initiative rigide, les grilles de combat où on se plante devant un monstre pour l’attaquer pendant 6 tours pour le toucher 3 fois, chacun restant campé sur ses positions pour éviter de se prendre une attaque d’opportunité pour avoir osé bouger.
Finis les rails déployés consciemment ou pas sous les pied des joueurs et des joueuses pour les mener du début à la fin du scénario, en passant par les rencontres qu’on a passé des heures à préparer ou à potasser dans le module.
Et fini les test de compétences échoués qui mènent à une impasse. Quand le voleur fait 6 ou moins en tentant de crocheter une porte, il n’échoue pas simplement à l’ouvrir, la main passe au MJ et celui-ci via une de ses actions fait avancer la fiction, en improvisant un monstre, un piège, ou toute autre complication qui n’avait pas besoin d’être prévue à l’avance !
Ça donne un jeu beaucoup plus fluide, surprenant, et surtout amusant pour le maître de jeu, qui a beaucoup moins a préparer, et qui plus est a le plaisir de découvrir le fil du récit qui émerge autant que les joueur·euse·s ! Il ou elle peut certes avoir des préparatifs à faire, mais peut se contenter que quelques notes sur un post-it listant les grandes lignes des forces en présence et les grandes étapes des plans des adversaires, si jamais les personnages n’interviennent pas. Ces préparatifs lui permettent de guider son improvisation en ayant toujours sous la main les signes avant coureurs des futurs problèmes se dressant devant les personnages.
Comment les joueur·euse·s peuvent se faire plaisir
Pour les joueurs et joueuses, jouer à Dungeon Wold, c’est l’occasion de se détacher un peu de la course à la puissance comme source de fun, se détacher des considérations d’optimisation de build et de tactique, et se concentrer sur la fiction.
Et faire du coup plus de blagouzes et de role-play, peut-être ?
Quels sont les écueils pour le MJ, les joueur·euse·s
Pour les joueurs et les joueuses, si leur plaisir dans le jeu de rôle vient principalement de la conception et de la mise en place progressive de leur build, ou de la bonne exécution de tactique en combat, ils ou elles risquent d’être un peu décontenancé·es et frustré·es par Dungeon Wold.
Pour le MJ, il peut s’avérer difficile de faire le vrai lâcher prise demandé par le jeu, et si vous restez dans un entre deux, à mi chemin vers le jeu plus traditionnellement scénarisé, vous allez faire jouer quelque chose de très bancal.
Quel public pour Dungeon World ?
Dungeon Wold est à mon avis parfaitement jouable par toute personne qui a une connaissance même superficielle de la fantasy, et ce très jeune. Les moins de 7 ans auront besoin de plus d’accompagnement pour ne pas être paralysés par le vertige des possibilités, mais dans un environnement bienveillant, ils peuvent vite piger le truc et proposer des actions un peu folles auxquelles un joueur plus âgé ne penserait pas, et bien contribuer au fun.
J’ai réussi à faire des session vraiment bien avec ma femme, qui n’avait jamais joué à un jeu de rôle ni été exposée à autre chose qu’au Seigneur des Anneaux adolescente, et mes enfants âgés de 8 et 4 ans. Je peux même vous dire que le joueur le plus ingénieux et efficace s’est rapidement révélé être le petit druide de 4 ans, qui prenait grand plaisir à se transformer en animal pour se faufiler et attaquer ses ennemis.
Conclusion
Si vous vous sentez l’envie de retrouver les plaisirs simples du jeu fantasy classique, mais sans les lourdeurs qui vont avec les jeux plus traditionnels, que ce soit en tant que joueur ou MJ, je ne peux que vous recommander très chaudement Dungeon World. Le jeu a une communauté très active sur internet, et vous trouverez sans peine des PDFs de livrets de personnages à imprimer, des amorces de situation si vous coincez, et de l’aide en ligne pour répondre à toutes vos questions sur le jeu.